
LE TEMPS QUI PASSE
RUTEBEUF
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COMPLAINTE
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Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
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Rutebeuf (1230-1285)
Adaptation en Français moderne
de la Griesche d'Hiver.
Musique
Ce poème a été interprété par Léo Ferré, Nana Mouskouri, Joan Báez...

Rutebeuf
Biographie
Il doit probablement son nom au surnom « Rudebœuf » (bœuf vigoureux), qu'il utilise lui-même dans son œuvre. On ne sait quasiment rien de sa vie sauf qu'il était probablement un jongleur avec une formation de clerc car il connaissait le latin. Il serait originaire de Champagne (il a décrit les conflits à Troyes en 1249), mais a vécu adulte à Paris.
Son œuvre, très diversifiée, qui rompt avec la tradition de la poésie courtoise des trouvères, comprend des hagiographies (Vie de Sainte Helysabel), du théâtre (Miracle de Théophile), des poèmes polémiques et satiriques (Renart le Bestourné ou Dit de l'Herberie) envers les puissants de son temps. Rutebeuf est aussi l'auteur d'une œuvre dont la tonalité est personnelle, il est l'un des premiers à nous parler de ses misères et des difficultés de la vie. Parmi ses vers les plus célèbres, on trouve certainement ceux issus des Poèmes de l’infortune : « Que sont mes amis devenus, que j’avais de si près tenus, et tant aimés… »
RONSARD
À CASSANDRE
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Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las, las ses beautés laissé choir
Ô vraiment marâtre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
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Ronsard (1524, Vendômois)
Odes, I,17


Pierre de Ronsard, né en septembre 1524 et mort en décembre 1585, est l'un des poètes français les plus importants du XVI ème siècle. Il fondera dès 1549 avec ses amis Baïf et Du Bellay : la Pléiade (ou Brigade, comme elle s’appelait à ses débuts) ... « Prince des poètes et poète des princes », cet épicurien est l'auteur d’une œuvre vaste qui, en plus de trente ans, a touché aussi bien la poésie engagée et officielle dans le contexte des guerres de religions avec les Hymnes et les Discours (1555-1564), que l’épopée avec La Franciade (1572) ou encore la poésie lyrique et d'Amour avec les recueils Les Odes (1550-1552) et Les Amours de Cassandre (1552). Imitant à ses débuts les auteurs antiques, Ronsard emploie d'abord les formes de l'ode et de l'hymne, pour finir par utiliser de plus en plus le sonnet en employant le décasyllabe comme le mètre « moderne » de l'alexandrin ... Ses dernières années furent marquées par la perte de nombre de ses amis et son état de santé s’aggrava. Malgré la maladie, ses créations littéraires restèrent toujours d’aussi bonne qualité et quelques-uns de ses derniers écrits sont parmi les meilleurs.
Cette ode, inspirée du poète latin Ausone, est composée en 1545 après la rencontre de Pierre de Ronsard, âgé de 20 ans, avec Cassandre Salviati, fille d'un banquier italien. Ce poème fait partie du premier livre des Odes, 17, et évoque la jeunesse qui passe comme le temps d'une fleur. Cette méditation sur la vieillesse et la mort est un thème récurrent dans la littérature tant religieuse que profane, aussi bien que dans les arts, à cette époque.
Musique
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Ce poème de l'Ode à Cassandre a inspiré une célèbre chanson polyphonique à Guillaume Costeley (1530-1606) et une autre à Jean de Castro (1540-1600)1, pendant cette même période de la Renaissance.
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Mignonne, allons voir si la rose a aussi été mis en musique, toujours au xvie siècle, par Jehan Chardavoine, qui en a fait une chanson populaire à une voix, publiée dans son Recueil des plus belles et excellentes chansons en forme de voix de ville tirées de divers auteurs et poètes françois tant anciens que modernes ausquelles a été nouvellement adaptée la musique de leur chant commun2. C'est le premier recueil de chansons populaires françaises à avoir été imprimé (1576).
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Ce poème a été mis en musique au xixe siècle par Richard Wagner (1813-1883), lors de son séjour à Paris en 1839-1841 (sous la forme d'un lied pour une voix et piano WWV 57). Il l'a encore été par Cécile Chaminade (1857-1944).
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Le groupe français de musique médiévale Les Ménestriers propose sa propre interprétation de la version de Jehan Chardavoine dans son album, intitulé Les Ménestriers paru en 1973.